Les injures homophobes et la construction d’identité des homosexuels. 7/8

Remarque importante: Cette étude comprend en fait seize chapitres sans compter l’introduction et la conclusion. Pour des raisons de confidentialité, six chapitres seulement seront publiés dans mon blog. Les dix autres chapitres analysent la partie empirique de l’étude. Les personnes qui seraient intéressées par leur lecture sont priées de prendre contact avec moi.

 n6295574091562502235.jpg Article écrit par Patrick Hannot.

Chapitre 6  Les injures homophobes. 

6.1. Introduction. 

L’homosexualité n’est pas une évidence comme la couleur des yeux ou de la peau. Elle se découvre généralement à l’adolescence par le sujet lui-même. Elle s’impose à son psychisme, à l’intimité de son être. Il est amené alors à se poser des questions non seulement sur son orientation sexuelle, mais aussi sur son identité et sur sa « normalité ». Ce questionnement conduit à ce que j’appelle l’internal coming out, c’est-à-dire l’acceptation de soi en tant que personne homosexuelle. Car c’est bien de personnalité dont il s’agit et pas de comportements. On peut très bien s’accepter comme homosexuel sans avoir jamais eu de comportement homosexuel et, à l’inverse,  on peut avoir un comportement homosexuel sans jamais accepter son homosexualité. Ces deux cas de figure constituant des formes différentes de refoulement. Ce n’est qu’après la démarche interne de l’internal coming out que peut prendre place ce qu’il est convenu d’appeler le coming out, c’est-à-dire la démarche qui consiste à révéler son homosexualité à son entourage. Une entreprise qui n’est jamais une sinécure. « Ce qui caractérise l’homosexuel, c’est qu’il est quelqu’un qui, un jour ou l’autre, est confronté à la décision de dire ce qu’il est, tandis que l’hétérosexuel n’a pas besoin de le faire puisqu’il est présupposé que tout le monde l’est. Le rapport au « secret » et à la gestion différenciée de ce « secret » dans des situations différentes est l’une des caractéristiques des vies homosexuelles. »[1]  Le coming out est une démarche qui, contrairement aux idées reçues, ne consiste pas seulement à dire à ses parents que l’on est homosexuel. C’est une démarche qui se répète tout au long de la vie et qui repose sur un questionnement constant : « Puis-je lui faire confiance ? Va-t-il m’accepter ? » Bien évidemment, ce questionnement était impensable autrefois et l’est encore dans bon nombre de sociétés. Si je m’en tiens aux sociétés occidentales, il faut attendre le début des années 1970 pour que les homosexuels revendiquent la possibilité de vivre sans cacher cet élément essentiel de leur personnalité. Avant cela, l’homosexualité se vivait en secret. Les sociétés occidentales chrétiennes l’ont tour à tour considérée comme un péché, une déviance, une tare ou une maladie. Le vocabulaire utilisé au cours de siècles pour la désigner est un bon indicateur de l’évolution des mœurs. Ce qui suit est donc une sorte de répertoire, un inventaire. C’est de l’injure elle-même dont il s’agit ici et non pas de ses conséquences. 

6.2. L’évolution du vocabulaire de l’homosexualité masculine. 

Lorsqu’il s’agit d’évoquer ou de désigner le désir d’un homme pour un autre homme, ou d’une femme pour une autre femme, ainsi que les comportements qui s’y rapportent, nous nous heurtons à un problème de vocabulaire. C’est que l’homosexualité se décline dans un champ sémantique vaste, varié et constamment en évolution. La désignation de l’homosexualité masculine a suscité dans l’histoire des sociétés humaines une bien plus grande inventivité que celle de l’homosexualité féminine. Peut-être parce que celle-ci était moins visible, sans doute parce qu’elle portait moins à conséquence puisqu’elle ne concernait que les femmes dont le rôle est resté secondaire dans l’histoire humaine jusqu’à la fin du 20ème siècle. 

6.2.1. L’expression du mépris ou de la dérision. 

Même en se limitant à la désignation de l’homosexualité masculine dans la langue française, force est de constater que les périphrases, substantifs et adjectifs sont nombreux, comme le démontre le philosophe Claude Courouve.[2] Ils sont également liés à une époque ou à un contexte particulier. Ainsi bardache, amour philosophique, mignon, bougre étaient à la mode au 16ème siècle ; infâme, hérétique, ganymède sont du 17ème ; amour socratique ou mœurs socratiques, Ordre de la Manchette, mœurs grecques sont des expressions du 18ème siècle ; uraniste est utilisé à la fin du 19ème siècle. Certains termes ont été en usage pendant plusieurs siècles. Ainsi, sodomite[3] remonte au 13ème siècle et a été utilisé jusqu’au 19ème ; pédéraste, qui date du 16ème siècle, et inverti, en être, être de la confrérie qui datent du 18ème ont été utilisés jusqu’au 20ème siècle ; tante, pédé et pédale sont issus de l’argot des prisons du 19ème siècle et restent utilisés de nos jours.  Toutes les expressions et tous les termes que je viens de citer sont injurieux. Qu’ils fassent appel au mépris où à la dérision, ils expriment une condamnation morale. Il faut attendre la fin du 19ème siècle pour voir apparaître un terme qui se veut scientifiquement neutre : homosexuel

6.2.2. La volonté de neutralité. 

Les termes allemands homosexualität et homosexual, ce dernier pouvant être utilisé comme substantif ou comme adjectif, ont été inventés en 1869 par Benkert, un médecin hongrois. Ils ont été repris à partir de 1880 par les psychiatres allemands, notamment Krafft-Ebing. Leur traduction française, homosexualité et homosexuel, date de 1891. Le terme homosexuel, mot artificiellement créé sur une étymologie gréco-latine qui doit se charger de nous rappeler son caractère scientifique, succède à antiphysique, autre terme prétendument scientifique datant du 18ème siècle et dont l’étymologie grecque semble le décalque de l’expression contre nature appartenant au vocabulaire antique et médiéval. On assiste donc à un glissement sémantique qui part de la condamnation théologique pour aboutir à la neutralité médicale. 

6.2.3. Un terme librement choisi. 

C’est vers la fin des années 1960 que le mot anglais gay, qui désignait jusque là le libertinage, a été rapporté à l’homosexualité. L’usage du mot, comme substantif ou comme adjectif, se généralise en français sous sa traduction gai. Ce terme franco-anglais, que l’on oppose à straight (hétéro, régulier), présente de nombreux avantages. Tout d’abord, il a des racines dans un texte français du 16ème siècle où il désigne des amours homosexuelles ce qui peut justifier son adoption[4]. Ensuite, il a été forgé et choisi par les homosexuels eux-mêmes. Enfin, il n’a pas de connotation négative ou médicale, mais constitue au contraire une présentation positive, optimiste, de l’homosexualité. 

6.2.4. Les termes politiquement incorrects. 

Le terme gay reste néanmoins peu répandu aujourd’hui, même parmi les homosexuels. Les hétérosexuels qui veulent paraître tolérants utilisent généralement le terme homo. Ces deux termes constituent le vocabulaire politiquement correct en la matière. Dans la vie courante cependant, le terme pédé est beaucoup plus répandu ainsi que les termes tante et tapette et tous leurs dérivés. 

6.2.4.1. Pédé, pédale. 

Pédé est à l’évidence l’abréviation de pédéraste. Le terme apparaît tout d’abord dans l’argot des prisons au 19ème siècle, puis on le retrouve dans l’argot des collégiens vers 1930, époque où apparaît la variante pédale. C’est vers la fin du 20ème siècle que l’on retrouve parfois l’écriture phonétique PD

6.2.4.2. Tante, tantouze. 

Le terme tante pour désigner un homosexuel apparaît dans le vocabulaire des prisons dans la première moitié du 19ème siècle. Il désigne alors un homme qui accepte des relations homosexuelles pour de l’argent. À l’origine, la tante était le surnom de l’épouse du concierge de la prison. Le terme va, par la suite, désigner n’importe quel homosexuel. Tantouze est un dérivé introduit à la fin du 19ème siècle. 

6.2.4.3. Tapette, tarlouze. 

Tapette est signalé au milieu du 19ème siècle comme étant synonyme de tante. Comme ce dernier terme, il est alors associé à la prostitution masculine et au chantage qu’elle permettait parfois d’exercer. Il pourrait être la féminisation de tapin. Par la suite, tapette va désigner n’importe quel homosexuel. La fin du 19ème siècle voit apparaître le diminutif tata. Au siècle suivant, ces termes désignent également un homme efféminé. Tarlouze semble être un dérivé plus récent. « Tapette a reflété et entretenu, pendant près d’un siècle, l’animosité populaire à l’égard des individus efféminés, ou supposés tels du simple fait de leur goût pour leur sexe. »[5] 

6.3. Conclusion. 

Comme je le disais plus haut, certains termes ont été en usage pendant plusieurs siècles. Aujourd’hui, il y a une juxtaposition de termes, car il y a différents niveaux de langage lorsqu’il s’agit de désigner les homosexuels. Le terme pédé est extrêmement répandu dans le langage populaire,. Il est utilisé par les homosexuels eux-mêmes. Le terme actuellement le plus correct est ‘homosexuel’, d’un usage courant, même s’il est contesté par certains homosexuels qui lui préfèrent le terme ‘gay’. Le terme tapette, ou ses déformations modernes tafiolle ou tarlouze sont réservés à l’ironie ou au dénigrement. Il est intéressant de constater qu’une même personne peut utiliser chacun de ces termes en fonction du contexte. C’est, du moins, ce que mon étude empirique donne à penser. 


[1] Didier ÉRIBON, op. cite. p. 84.

[2] Claude COUROUVE, Vocabulaire de l’homosexualité masculine, Paris, Payot, 1985. 

[3] Je me dois de préciser que le terme sodomite recouvrait, au Moyen Âge un champ très vaste qui désignait toute personne dont les pratiques sexuelles empêchaient la reproduction (coït interrompu, masturbation, zoophilie, homosexualité, etc.).

[4] Ibidem, p. 111. 

[5] Ibidem, p. 212. 

À propos de p56h

Psychologue clinicien et psychanalyste.

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