Après l’introduction publiée hier, voici la suite d’une étude réalisée en 2007 sur ce sujet. Je poursuivrai la publication de cette étude dans les prochains jours. Pour des raisons de confidentialité, la partie empirique de cette étude ne sera pas publiée sur ce blog. Patrick Hannot.
CHAPITRE 1
LA CONSTRUCTION D’IDENTITÉ CHEZ FREUD ET SES SUCCESSEURS.
1.1. Introduction.
La notion d’identité, ce qui fait que je suis différent des autres et donc unique, implique une dimension d’unité et une dimension de continuité. Unité, parce que l’identité est vécue comme un ensemble cohérent et intégré. Continuité, parce que l’individu a le sentiment qu’il est la même personne tout au long de sa vie. Comment devient-on soi-même ? L’identité n’est pas donnée à la naissance, elle se construit. Sigmund Freud, en élaborant la théorie psychanalytique, a déterminé les bases de la construction de l’identité, et des successeurs tels que Heinz Hartmann ou Erik Erikson ont complété son œuvre dans ce domaine. En effet, le ça, le moi et le surmoi, les trois instances de la personnalité du modèle métapsychologique freudien, peuvent être englobées dans une notion plus large, celle du soi.
1.2. Les bases psychanalytiques de l’identité.
Si la notion d’identité n’est pas freudienne, on peut cependant trouver dans le corpus freudien des notions qui s’en approchent, voire même qui la recouvrent. Ainsi, la notion d’idéal du moi (Ich-Ideal) traitée par Sigmund Freud, en 1914, dans son introduction au concept de narcissisme, est le modèle de référence du moi. Le sujet le forme au départ du narcissisme perdu de son enfance qu’il projette devant lui comme une réalisation à accomplir. « Il ne veut pas se passer de la perfection narcissique de son enfance ; s’il n’a pu la maintenir, car, pendant son développement, les réprimandes des autres l’ont troublé et son propre jugement s’est éveillé, il cherche à la regagner sous la forme de l’idéal du moi. Ce qu’il projette devant lui comme son idéal est le substitut du narcissisme perdu de son enfance ; en ce temps-là, il était lui-même son propre idéal. »[1] C’est plus tard, en 1923, que Freud formule clairement la notion de surmoi (Über-Ich) qu’il confondait encore jusque là avec celle d’idéal du moi. Le surmoi, qui agit comme le censeur de la personnalité, est essentiellement l’intériorisation de l’autorité parentale. « Le surmoi conservera le caractère du père, et plus le complexe d’Œdipe fut fort, plus son refoulement s’effectua rapidement (sous l’influence de l’autorité, de la doctrine religieuse, de l’enseignement, des lectures), plus, par la suite, le surmoi, comme conscience morale, voire comme sentiment de culpabilité inconscient, dominera sévèrement sur le moi. »[2] Idéal du moi et surmoi sont, à l’évidence, des éléments essentiels de la construction de l’identité. Il est cependant un processus que Freud théorise assez tard, même s’il le subodore depuis longtemps, c’est celui de l’identification. C’est une manière pour l’individu de se constituer, de se transformer, en assimilant des attributs d’une autre personne qui lui sert de modèle. « L’identification est connue de la psychanalyse comme la manifestation la plus précoce d’une liaison de sentiment à une autre personne. Elle joue un rôle dans la préhistoire du complexe d’Œdipe. Le petit garçon fait montre d’un intérêt particulier pour son père, il voudrait et devenir et être comme lui, venir à sa place en tous points. Disons-le tranquillement, il fait du père son idéal. (…) Simultanément à cette identification avec le père, peut-être même antérieurement à elle, le garçon a commencé à effectuer un véritable investissement d’objet de la mère selon le type par étayage. »[3] Le processus d’identification se reproduit ensuite à différentes reprises à des moments cruciaux du développement ; à l’adolescence, par exemple. Idéal du moi, surmoi et processus d’identification sont incontestablement des éléments du socle psychodynamique de la construction d’identité, mais il faut attendre les post-freudiens pour qu’une véritable conceptualisation de l’identité soit élaborée dans le champ psychanalytique avec le concept du soi.
1.3. Le concept de soi.
La notion de soi est post-freudienne. Initiée par Heinz Hartmann, elle fut théorisée par Donald Winnicott et Heinz Kohut dans les années soixante. En psychanalyse, le soi désigne une instance de la personnalité au sens narcissique se constituant postérieurement au moi dans une relation à la mère et dans un rapport à autrui.[4] Nous verrons, au chapitre suivant, qu’en psychologie, le soi est le noyau essentiel de l’être constitué par les expériences individuelles de relations avec l’environnement social[5], et qu’il n’y a donc pas de soi sans rapport à l’autre. Ce que l’on appelle le concept de soi en psychanalyse, c’est la « théorie » globale d’un individu sur lui-même. Le concept de soi sert de critère ou de guide du comportement en présence de situations nécessitant un ajustement. Il se réfère à la façon dont l’individu se perçoit, aux attitudes et aux sentiments qu’il ressent à son égard.[6] Nous comprenons que ce concept soit l’un des objets d’étude de la psychologie sociale. Il s’agit de bien différencier l’ego qui a une fonction exécutoire (self-as-a-doer), du soi qui a une fonction perceptuelle (self-as-an-object), et donc de « démêler le contenu de l’identité (ce que l’individu est d’après lui, ou encore le sujet tel qu’il est observé, connu), du processus (comment il perçoit et agit en fonction de lui-même, ou encore comme sujet observateur connaissant). »[7]
1.4. Identité et adolescence.
Celui que l’on peut considérer comme le fondateur de l’Ego Psychology, Heinz Hartmann[8], considérait que le moi est une structure autonome et sans conflit, déterminée par ses fonctions. Dans son sillage, des psychanalystes américains ont théorisé le concept d’identité. Reprenant cette conception du moi, ils y ont ajouté la problématique des identifications et les relations de ce moi avec le monde environnant. C’est Erik Erikson qui a, dès la fin des années cinquante, théorisé le concept d’identité qui, pour lui, se constitue à l’adolescence sous la forme d’une crise. « Ce n’est pas avant l’adolescence que l’individu développe les conditions préalables à l’expérience que sont la croissance physiologique, la maturation mentale, la responsabilité sociale et qu’il passe par la crise d’identité. Nous pouvons en fait concevoir la crise d’identité comme l’aspect psychosocial de l’adolescence. Ce stade ne peut être traversé sans que l’identité n’ait trouvé une forme propre à influencer d’une façon décisive tout le reste de l’existence. »[9] Selon Erikson, c’est à l’adolescence que l’individu rejette certains éléments de son identité construite pendant l’enfance et reconfigure les autres. Il s’agit donc d’une véritable remise en question de l’identité et l’on peut bien parler d’une crise. Dans ce bouleversement les subcultures de la société jouent un rôle important. « L’adolescent recherchera avec ferveur les hommes et les idées auxquels il puisse accorder sa foi, ce qui signifie aussi des hommes et des idées au service desquels il vaudrait la peine de prouver que l’on est digne de confiance. »[10] Nous le voyons, l’identité que se forge l’adolescent se construit sur sa relation aux autres. Il est dès lors légitime de se demander quelles sont les interactions sur lesquelles elle repose.
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La métapsychologie freudienne a, dès l’origine mais plus particulièrement dans la deuxième topique, constitué un socle pour la compréhension de la construction d’identité. Enrichi, par les successeurs de Freud, ce concept n’était pourtant pas épuisé. Comme Henri Wallon le pressentait déjà il y a soixante ans[11], l’identité ne peut se construire que dans le rapport à l’autre. C’est donc la psychologie sociale qui a, avec Mead et ensuite avec le sociologue Goffman, apporté un éclairage complémentaire sur la notion de construction d’identité.
[1] Sigmund FREUD, Pour introduire le narcissisme, in La vie sexuelle, PUF, Paris, 1992, p. 98. Première édition en allemand, 1914.
[2] Sigmund FREUD, Le moi et le ça, in Œuvres complètes, vol. 16, PUF, Paris, p. 278. Première édition en allemand, 1923.
[3] Sigmund FREUD, Psychologie des masses et analyse du moi, in Œuvres complètes, PUF, Paris, 1991, p. 42. Première édition en allemand, 1921.
[4] Elisabeth ROUDINESCO et Michel PLON, Dictionnaire de la psychanalyse, Fayard, Paris, 1997, p. 968.
[5] Werner FRÖHLICH, Dictionnaire de la psychologie, Librairie Générale Française, Paris, 1997, p. 384.
[6] René L’ÉCUYER, Le concept de soi, PUF, Paris, 1978, p. 21.
[7] Lucy BAUGNET, L’identité sociale, Dunod, Paris, 1998, p. 29.
[8] Heinz HARTMANN, Essays on Ego Psychology, International University Press, New York, 1964. Première édition, 1939.
[9] Erik H. ERIKSON, Adolescence et crise, Flammarion, Paris 1972.
[10] Ibidem, p. 125.
[11]Henri WALLON, Le rôle de l’autre dans la conscience du moi, Journal of Egyptian Psychology, 1946, reproduit dans Enfance, numéro spécial, 1959, pp. 279-286.
2 juillet 2009
PSYCHOLOGIE / HOMOSEXUALITÉ