Remarques psychanalytiques sur le Da Vinci Code de Dan Brown.

28 juin 2009

PSYCHANALYSE

 n6295574091562502237.jpg article de Patrick Hannot

 

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Autant dire tout de suite que Dan Brown connaît la recette pour rédiger un bon best-seller. Elle est simple : « Commencez par des secrets incroyablement convaincants et puissants, jetez un homme ordinaire (et une belle femme) dans de l’action rapide aux enjeux élevés pour qu’il découvre ces secrets malgré une menace imminente contre la civilisation , confrontez les personnages à des sociétés secrètes obscures et puissantes dont personne ne soupçonnait l’existence jusqu’alors, concentrez leur esprit sur des complots si complexes que le lecteur ne pourra jamais établir un plan de l’intrigue, et enrobez le tout d’action suffisamment rapide pour que le lecteur oublie les personnages de papier mâché et les lacunes de l’intrigue. »

Pour bien comprendre le Da Vinci Code, il est intéressant de le considérer comme le second tome des aventures de son héros, un universitaire américain nommé Robert Langdon. Le premier tome s’appelle Anges et Démons, roman qui précède le Da Vinci Code mais qui a été traduit en français postérieurement. Si les incohérences, les inventions, les déformations et les falsifications du Da Vinci Code sont agaçantes, dans Anges et Démons, il faut leur adjoindre une niaiserie et une invraisemblance qui perturbent le plus bienveillant des lecteurs cultivés.

Dans les deux romans, le suspense repose sur un secret que le héros doit découvrir après un parcours quelque peu initiatique. Dans Anges et Démons, le secret porte sur l’existence d’une secte, les Illuminati, prétendument composée de scientifiques travaillant à la perte de l’Église dont ils seraient les farouches adversaires. Galilée en aurait été un Grand Maître. Cette organisation qui aurait traversé les siècles depuis la Renaissance, ourdirait des complots machiavéliques suffisamment puissants pour tenir en échec l’Église Catholique. Dans le Da Vinci Code, le secret est que Jésus aurait eu une descendance grâce à Marie-Madeleine qui aurait été sa compagne. Cette descendance aurait donné naissance à la dynastie des Mérovingiens. Ce secret extraordinaire, nature même du Graal, serait gardé par une mystérieuse société, le Prieuré de Sion, tandis que l’Église catholique, et en particulier l’Opus Dei, chercherait à le faire disparaître. Leonardo da Vinci, qui aurait été Grand Maître du Prieuré de Sion, aurait transmis un message codé depuis la Renaissance pour livrer le secret du Graal, à savoir que l’Église chrétienne avait été confiée par Jésus à Marie-Madeleine et à sa descendance.

L’engouement populaire pour le Da Vinci Code semble, à première vue, incompréhensible. Il ne faut pas en chercher les raisons dans les talents d’écrivain de l’auteur ni même dans le suspense du récit, mais plutôt dans les thèses qui sont évoquées dans le roman. Ces thèses, je dirais même que le Da Vinci Code ne fait pas que les utiliser, il les défend. Car il y a une malhonnêteté dans l’attitude de Dan Brown lorsqu’il affirme : « Dans mon livre, je révèle un secret qui est murmuré depuis des siècles. Je ne l’ai pas inventé. C’est la première fois que ce secret est dévoilé dans un thriller à succès. » Il fait également précéder ses romans d’une note qui précise que tout ce qui s’y trouve est « factual », c’est-à-dire reposant sur des faits, sous-entendus avérés. Il y a un risque ici, car le lectorat de Dan Brown est tellement vaste qu’il atteint ceux qui ne lisent que très rarement et qui ne sont pas culturellement armés pour faire la part entre la fiction et la réalité.

Examinons les sources de Dan Brown. Tout commence par sa lecture d’un ouvrage ésotérique, Holy Blood, Holy Grail., traduit en français sous le titre : L’énigme sacrée. Ses auteurs sont Michael Baigent, Richard Leigh et Henry Lincoln. Ce ne sont aucunement des spécialistes de l’histoire religieuse, mais tous trois s’intéressent à l’ésotérisme et aux mystères historiques. Ce livre a manifestement influencé Dan Brown. D’ailleurs l’un des personnages clef du Da Vinci Code, Sir Leigh Teabing, doit son prénom à Richard Leigh et son nom, Teabing, est une anagramme de Baigent. Ces trois auteurs ont l’enthousiasme des autodidactes, mais ils en ont également l’imprécision. Avec une grande honnêteté ils ont reconnu que « L’énigme sacrée a été sérieusement remis en question en ce qui a trait à ses recherches, à ses méthodes, à ses conclusions et ainsi de suite. La plupart des chercheurs qui possèdent une expertise dans les domaines qu’aborde le livre ne lui accordent, au mieux, aucune crédibilité, ou bien trouvent qu’il appuie le canular que constitue, aux yeux de nombreux spécialistes, le Prieuré de Sion. » La documentation de Dan Brown est donc douteuse. Des journalistes ont pu établir qu’elle reposait en grande partie sur la fréquentation de sites Internet américains qui mettent en scène des théories du complot. Ces sites flirtent souvent avec le révisionnisme, l’antisémitisme et l’extrême droite. Les théories du complot connaissent un immense succès aux USA. « Les Américains croient volontiers aux complots. Ils ne sont pas surpris quand on leur dit qu’une partie des élites veulent du mal aux bons citoyens. »

Voici donc ce qui constitue le ressort du Da Vinci Code. Nous sommes victimes d’un complot. L’Église catholique cache depuis toujours la vérité aux chrétiens. Nous sommes ici confrontés à ce que l’historien des sciences Pierre-André Taguieff appelle un imaginaire manichéen où «le mythe du complot ou la mythologie conspirationniste, qui se constitue autour de la thèse selon laquelle les complots on fait, font et feront l’Histoire, c’est-à-dire constituent la clé de l’histoire. » Cette vision paranoïaque de l’Histoire est proche de ce que l’on appelle le délire interprétatif. De quoi s’agit-il exactement ?

Il faut avant tout préciser que « la paranoïa a des formes individuelles et institutionnelles, sociales et culturelles. Tout le monde a probablement en soi au moins un germe de paranoïa. » Du point de vue clinique, la paranoïa est un trouble de la personnalité, de structure psychotique, qui peut se traduire par un état délirant survenant à l’âge adulte. Le délire paranoïaque présente un mécanisme interprétatif très systématisé. C’est donc un délire cohérent et le sujet qui en souffre est convaincu de la véracité de ses interprétations. Il convient d’ajouter que le délire paranoïaque se retrouve chez des sujets qui possèdent un moi hypertrophié et qui sont extrêmement rigides, incapables de se remettre en question. Selon Freud , c’est le mécanisme de la projection qui est à l’œuvre dans la paranoïa. Il s’agit, pour le sujet, de rejeter vers l’extérieur une perception intolérable à l’intérieur. Il y a donc projection d’un contenu refoulé vers l’extérieur, mais il y a retour. Ce qui a été aboli au-dedans revient du dehors et s’accompagne d’un déni de la réalité. C’est ainsi qu’une pulsion agressive inavouable peut revenir, après transformation, sous la forme d’un délire de persécution. Il s’agit d’un mécanisme de défense contre une pulsion inacceptable en particulier la haine et l’agressivité.

C’est ce mécanisme qui est à l’œuvre, sous une forme romanesque, dans le Da Vinci Code. L’Église est dénoncée comme organisatrice d’un complot du silence. Elle nous cacherait une vérité : le mariage de Jésus.

Nous avons vu quel était le ressort du Da Vinci Code, abordons maintenant l’énigme éponyme. Les œuvres de Leonardo da Vinci seraient codées dans le but de transmettre la notion de Féminin sacré et le souvenir du mariage de Jésus. Dan Brown va jusqu’à affirmer que Leonardo était un féministe ! Il s’agit non seulement d’un anachronisme mais aussi d’une preuve que l’auteur ne connaît pas son sujet. Le génie de la Renaissance était non seulement amateur d’adolescents mais aussi, probablement tourmenté par sa sexualité, profondément fasciné par l’ambiguïté. Les jeunes hommes qu’il représente dans ses dessins et ses peintures sont extrêmement féminins. C’est l’hypothèse soutenue par Freud dans une étude sur Leonardo . Dans la Cène, c’est bien Jésus et ses douze apôtres qui sont représentés. Selon la tradition, l’apôtre Jean est représenté très jeune aux côtés de Jésus, avec toute l’ambiguïté voulue. Il ne s’agit donc pas du banquet de noce de Jésus où il figurerait avec Marie-Madeleine et tous les apôtres sauf Jean, mais bien de la Cène, représentée selon la tradition.

Il reste que le mariage de Jésus et la place de la femme dans l’Église sont des sujets à la mode qui passionnent un grand nombre de chrétiens. Nous abordons ici la thèse défendue par Dan Brown. Elle n’est pas neuve, même si la construction sociale du féminisme au cours de ces trois dernières décennies a influencé notre conception des origines du christianisme. Il est à noter que le féminisme de Dan Brown n’est que de pure façade. La place du père est omniprésente dans le roman. L’héroïne, Sophie Neveu, est orpheline. Elle rappelle les difficultés relationnelles qu’elle a avec son grand-père, assassiné au début du roman, pour qui elle éprouve néanmoins une admiration sans borne. C’est lui qui était détenteur d’un savoir et d’un secret. C’est avec l’aide de Robert Langdon, figure paternelle de substitution, qu’elle va partir à la recherche des secrets du grand-père. Elle finira par découvrir que sa grand-mère s’est volontairement mise à l’écart. Nous sommes donc dans un univers d’hommes. Ils ont le pouvoir et la connaissance. Le nom même de la jeune fille, Neveu, évoque une un lien familial symbolique masculin avec l’universitaire. C’est à croire qu’elle n’est femme que pour les besoins du roman.

Un autre élément très présent dans le Da Vinci Code, c’est le masochisme. Cilice et flagellation du tueur, bien sûr, mais aussi sacrifice des grands-parents et sacrifice des gardiens du secret. Évocation du symbole masochiste par excellence, le Graal, que la tradition considère être le calice qui reçut le sang de Jésus, symbolique à la Cène et réel au Calvaire, est détourné. Il se personnifie en une Marie-Madeleine rejetée par l’Église qu’elle aurait du diriger, prétend Dan Brown. Les prétendus gardiens du secret ne le révèlent pas. N’est-ce pas une manière de souffrir en silence, un peu comme un masochiste qui patiente en attendant son triomphe ? Le masochisme règne dans le Da Vinci Code comme il règne dans le christianisme, où à l’instar d’autres religions antiques, le dieu se sacrifie.

Précisément, quelle est la place de Marie-Madeleine dans la vie de Jésus ? Les évangiles canoniques ne disent rien au sujet de la vie sentimentale ou sexuelle de Yeshua ben Yosef que nous connaissons sous le nom de Jésus. Nous savons que le personnage de Marie-Madeleine est une construction tardive, symbole de la courtisane repentie, créée à partir de plusieurs Myriam et notamment Myriam de Magdala. Les idées reprises par Dan Brown reposent sur une lecture de certains évangiles apocryphes. Les textes apocryphes constituent un corpus ouvert extrêmement riche qui illustre le foisonnement des approches doctrinales des premiers siècles du christianisme, chaque évangile défendant une doctrine particulière. Le gnosticisme, qui n’est qu’une de ces approches, est initiatique, fondé sur le dualisme métaphysique (dieu du mal, dieu du bien, principe masculin, principe féminin). Il voit, en Jésus et Marie-Madeleine, le couple rédempteur qui serait le pendant du couple originel, Adam et Ève. Cette interprétation peut avoir ses adeptes, mais elle est très loin d’une vérité historique.

Ce qui est intéressant, c’est de constater que Dan Brown se base sur un christianisme marginal pour contester un christianisme officiel. À aucun moment, il ne met en doute les fondements de la foi chrétienne. La dévotion à la Déesse Mère existe depuis longtemps dans le christianisme. Dan Brown propose un glissement de la mère à la compagne de Jésus. Il s’agit d’actualiser et de normaliser Jésus en lui donnant une sexualité. Il s’agit d’en faire un personnage proche des hommes du 21ème siècle. Si le Da Vinci Code détériore quelque peu l’image de l’Église catholique, il renforce la construction sociale d’un christianisme non-conformiste.

Patrick Hannot

À propos de p56h

Psychologue clinicien et psychanalyste.

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